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Les conséquences à plus ou moins long terme

des allaitements mal adaptés

                                                                               Dr Marie Thirion - Pédiatre 

Conférence à LA CAUSE des BÉBÉS-  5 février 2005

Paru aux éditions Albin Michel, Déc 2007   dans l’ouvrage  collectif 

                          L’art de nourrir les bébés

S’il est possible de parler calmement de nutrition au sens strict du terme, c’est à dire d’apport adéquat de calories et des principaux nutriments, parler de tout autre aspect du nourrissage est un sujet périlleux. Comme toutes les expériences fondamentales, notre manière de nous alimenter, de nourrir nos enfants s’ancre profondément dans notre histoire individuelle et collective : poids de notre culture familiale, poids aussi du sceau des émotions qui ont imprégné nos expériences primitives. Cette histoire, en grande partie inconsciente et très complexe, -comme toutes nos expériences primitives-, est difficilement appréhendable et encore plus difficilement modifiable. D’où l’impact des choix faits pour nos enfants, de la manière dont ils sont vécus. Et d’où aussi l’intensité du déni – personnel et collectif- qui nous permet de croire que nous faisons « au mieux » alors que les études scientifiques solides devraient amener à de sérieuses remises en question.

 

Je vais donc aborder les conséquences de nos choix alimentaires pour nos enfants à partir de trois questions:

- Le choix du lait (maternel ou substitut) est-il anodin pour la santé à court et long terme de nos enfants ?

-Quelles peuvent être les conséquences de la technique  de la prise des aliments : sein, tétine, gavage, autre ?

-Comment penser le retentissement  du vécu émotionnel des expériences primitives sur la construction de l’équilibre faim- satiété et la modélisation des comportements ?

Bien qu’il soit la clé de tout, je n’aborderai pas ici l’aspect de la relation à l’autre dans le nourrissage, celui du lien parent–enfant, celui des émotions transmises de générations en générations. Cet aspect nécessite à lui tout seul une très longue réflexion.

 

Le choix du lait

Pour les bébés au sein il existe indiscutablement quelques risques métaboliques précoces si la mise en route de l’allaitement n’est pas satisfaisante et que personne n’en fait le diagnostic. C’est une situation malheureusement fréquente liée à la méconnaissance des bases physiologiques de la lactation par la plupart des personnes travaillant autour des mères et des bébés dans la période néonatale. Ce que l’on dit sur le lait « pas nourrissant » ou « inadapté » est une aberration. S’il existe des troubles, c’est parce que le lait n’est pas produit ou non reçu par le bébé. C’est n’est pas parce qu’il ne convient pas.

En quelques mots, reprenons chacun des risques dont la crainte amène de véritables « pratiques conjuratoires » inadaptées en maternité.

L’hypoglycémie chez l’enfant à terme, de poids normal et qui n’a pas souffert n’existe pas, sauf s’il a eu froid…Elle ne peut être liée à une simple carence d’apports alimentaires. Il existe d’ailleurs une régulation métabolique très complexe utilisant les graisses corporelles de réserve et des carburants alternatifs pour pallier une éventuelle baisse du sucre. Le cerveau lui même a ses propres mécanismes de défense en cas de diminution glycémique. La surveillance sanguine devrait donc être strictement réservée aux seules situations pathologiques identifiées : refroidissement, prématurité, retard de croissance, diabète et hyperinsulinismes, souffrance fœtale ou néonatale…

La déshydratation néonatale, grave urgence métabolique et cérébrale, est une pathologie plus angoissante, pas du tout exceptionnelle. Elle est la conséquence directe d’un allaitement mal conduit avec carence d’apport en eau car la lactation ne démarrant pas, le lait reste colostral, très salé et peu abondant.

Les bébés « en économie d’énergie » sont la forme lente, sournoise de ce même démarrage inadéquat. Les bébés sous-nutris, sont souvent trop sages, très calmes, réclamant peu, dormant beaucoup pour adapter leurs besoins métaboliques aux faibles apports. Cette pathologie –fréquente- passe souvent inaperçue le premier mois car ce comportement très calme rassure à tort parents et soignants jusqu’à la première pesée, où là, bien sur, on incriminera la mauvaise qualité du lait…..

On a aussi longuement disserté sur les risques majorés d’ictère du nouveau né. Il y a, c’est vrai, une augmentation du cycle entéro-hépatique avec réabsorption de la bilirubine. Mais l’on sait aussi que la bilirubine libre a un effet protecteur, anti-radicaux libres, sur le cerveau des bébés et qu’il n’est peut-être pas anodin de multiplier les photothérapies. Une prise en charge correcte des bébés dans les premiers jours, faisant bien la différence entre les bébés parfaitement sains et ceux qui ont souffert ou ceux qui présentent des facteurs de risque, suffit à éviter tout risque d’ictère grave.

Comme vous le voyez, dans ces inquiétudes sur les bébés au sein, tout problème est facilement évité par un regard clinique individualisé et le repérage précoce des allaitements mal démarrés. C’est là l’élément essentiel : savoir repérer qu’un bébé tète de manière efficace, qu’il se procure du lait. Inutile de tenir compte du nombre ou de la durée des tétées : un bébé peut téter souvent et longtemps, s’endormir calmement alors qu’il n’a rien pris; donc son comportement (calme ou pleurs) ne nous apprend rien. Seuls comptent les signes d’un authentique transfert de lait.

Dans les services de maternité, la grande difficulté est la multiplication de protocoles mettant tous les bébés au même  niveau de risque et ne tenant pas compte de la clinique de la lactation. Ces pratiques, faussement sécuritaires, torpillent les allaitements.  Nous sommes incapables  ce qui est grave, de reconnaître que nos habitudes autour de la naissance et des premiers jours favorisent ces difficultés au lieu d’y remédier. Un seul moyen d’améliorer tout cela: la formation solide des personnels de maternité .

 

Les bébés en alimentation artificielle 

Il y a une vingtaine d’années, un expert de l’OMS avait qualifié la banalisation un peu partout sur la planète de l’allaitement par laits de vache modifiés comme : « la plus grande expérience biologique incontrôlée jamais tentée ». Qui peut dire sur le très long terme de l’évolution ce qu’il adviendra de l’espèce humaine, nourrie  par le lait d’une autre espèce ? Pour le court terme, nous avons déjà des réponses scientifiques qui ne permettent plus de rester dans le déni si commode, orchestré à grande échelle par l’industrie alimentaire. Il faut avoir le courage de la dire. Les risques des laits artificiels sont réels. Les bébés au biberon vont moins bien que les bébés au lait maternel et il y a plus de pathologies tardives pouvant handicaper tout le devenir de l’individu. Bien sûr il s’agit là de risques statistiques et certains individus s’en sortent très bien. Mais en terme de santé publique, de santé des populations, il faut regarder les choses en face.

Les bébés au biberon ont dans les deux premières années un risque infectieux nettement majoré : deux fois plus d’otites et de bronchiolites, 3  à 10 fois plus de gastro-entérites. Pour le prématuré, le risque d’entérocolite ulcéro-nécrosante est multiplié par cinq. Ces statistiques ne sont pas le fait de populations défavorisées de pays en développement. On les retrouve dans tous les pays du monde qui ont le courage scientifique de faire des études comparatives.

De même, les maladies auto-immunes : maladie coeliaque, scléroses en plaques, diabète insulino-dépendant, certains cancers sont beaucoup plus fréquents dans les populations nourries au lait artificiel. Pour le diabète par exemple, on a pu démontrer que la survenue d’un diabète avant quatre ans  (donc grave) survenait 4 fois plus souvent chez les bébés qui ont été allaités moins de trois mois que chez ceux allaités longtemps. Il a aussi été démontré que l’allaitement maternel de plus de douze mois diminue de 75% le risque d’un diabète au cours de la vie. Pour certains cancers, il semble que la présence de très grandes quantités de facteurs de croissance épithéliale dans les laits de vache (pour que le petit veau puisse prendre 300 Kg en deux ans!) puisse être le point de départ de certaines multiplications cellulaires aberrantes. A suivre…

Un des problèmes pédiatriques en augmentation spectaculaire depuis quelques décennies, c’est celui des allergies en particulier des maladies asthmatiques. Des études montrent que le risque de survenue de cette pathologie est multiplié par deux si le bébé est alimenté au lait artificiel. Pour l’eczéma infantile, l’effet protecteur du lait maternel est un peu moins élevé. Nous savons aussi que l’effet protecteur de l’allaitement au sein dépend des modalités de cet allaitement, en particulier de son exclusivité.  Il semble maintenant démontré que le colostrum des premiers jours et son rôle sur la flore bactérienne intestinale sert à établir un équilibre immunitaire complexe, régissant notre tendance à réagir aux allergènes extérieurs, en particulier alimentaires. Modifier les apports alimentaires dans cette période, donner des laits en poudre, modifie définitivement cet équilibre, rendant pour toute la vie certains individus plus vulnérables aux maladies allergiques ou auto-immunes . Or combien de nos bébés n’ont aucun complément de lait artificiel à la maternité ?

Le plus grave problème de santé publique des sociétés modernes est celui de l’obésité et de ses graves conséquences médicales.  Plusieurs études démontrent que –à milieu culturel et conditions socio-économiques ultérieures égales- les adolescents obèses sont plus nombreux dans les populations de non allaités que dans les autres. Et cet effet dépend de la durée : 20% d’obèses en moins pour les bébés allaités six mois, 35 à 40% pour les bébés allaités douze mois. On en connaît au moins trois raisons :

 

 

 

 

 

 

-L’excès quantitatif de protéines dans la première enfance. Les laits de vache en contiennent quatre fois plus que le lait maternel et les laits premier âge entre 1,5 et 2 fois plus. Double ration ou presque, la différence est énorme.

-L’apport de protéines et de graisses inadaptées au système enzymatique humain. Pour ne pas surcharger le foie et les reins chargés de l’épuration, les produits inutilisables sont stockés dans le tissu graisseux, véritable poubelle de notre corps.

-L’excès de facteurs de croissance dans les laits de vache qui favorisent – nous l’avons dit- les multiplications cellulaires.

Pour s’attirer les foudres de nos concitoyens, rien de tel que d’aborder le problème d’un éventuel retentissement de l’alimentation précoce sur le devenir intellectuel des individus. La notion qu’à grande échelle, et dans des études comparatives importantes, on puisse trouver une différence entre les bébés allaités au sein et les autres nous est insupportable. Et pourtant… On sait depuis une vingtaine d’années que la densité cérébrale au scanner est tout à fait différente chez les bébés de trois mois selon qu’ils ont été allaités ou non. On sait aussi que le pourcentage total en acides gras du cerveau est deux fois plus élevé dans les vingt premières semaines de vie  si l’enfant est nourri au lait de femme. Si l’on choisit de comparer rétrospectivement des populations d’individus  selon leur mode d’alimentation précoce avec les tests cognitifs classiques (QI, échelles de développement comportemental, etc.)les différences sont franches : 10 points de QI en moins chez trois cent anciens prématurés revus à l’age de 7ans1/2-8ans ; sur 12 études répertoriées par Andersen en 1999 , les fonctions cognitives ont toutes un gain de 3à 5 points pour les enfants allaités, et ce chiffre est d’autant plus élevé que le bébé était de petit poids à la naissance. Enfin deux études danoises regroupant, pour l’une près de 1000 personnes testées à 27 ans  par test de Weschler et pour l’autre 2280 évaluées à 18 ans par test de Borge Priens Prove,  arrivent à la même conclusion : parmi les personnes présentant un QI inférieur à 90, 80% n’ont pas été allaitées, ou l’ont été moins d’un mois.

Il serait bien sûr aberrant de prendre toutes ces données au premier degré. L’intelligence ne se mesure pas de façon simple et des milliers de paramètres peuvent intervenir. Quant à les utiliser pour contraindre les femmes à allaiter ou pour sélectionner des individus, ce serait une honte. Toutes ces notions, je le répète sont des notions statistiques, à l’échelle des populations. Tous les tests sont imparfaits, les études partielles et parfois orientées. Mais refuser d’emblée, sans aucun concept rationnel, qu’il puisse y avoir des différences est pour moi un signe grave de non écoute. Le déni n’apporte rien à la réflexion. Nous chipotons moins sur la valeur scientifique des échelles de développement ou du QI, quand nous voulons tester des différences entre des populations d’enfants anciens prématurés ou victimes de tragédies sociales ou économiques. Pourquoi les invalider d’emblée quand il s’agit d’alimentation ? L’honnêteté intellectuelle, c’est de lire les études, de les critiquer, de les compléter, d’en rechercher d’autres pour être de plus en plus près de la réalité. Et le libre choix des femmes, des parents, des populations ne peut se faire que sur des informations précises. Nous sommes libres de fumer, manger ce qui nous plait, rouler en voiture, facteurs dont les risques sont parfaitement identifiés et connus de tous. De même chaque femme peut librement choisir d’allaiter ou non son enfant car il s’agit de sa vie, de  sa relation avec l’enfant, de ce qu’elle peut assumer ou non à ce moment précis. La culpabilité – oh combien ressassée- dont serait victime toute jeune mère n’allaitant pas mais qui entendrait ces données est une construction facile pour ne pas parler vrai. Elle existe tout autant chez les mères ayant choisi l’allaitement au sein : dès que le bébé pleure ou paraît souffrir, dès qu’on les interroge sur la qualité de leur lait, dès que le poids pris par l’enfant n’est pas strictement celui des courbes statistiques de croissance, dès que le moindre trouble les conduit à douter d’elles. Des informations précises, des choix clairs, ressentis profondément, seront une bien meilleure protection contre cette angoisse d’être la mère à laquelle nulle n’échappe.

 

 

Les différentes techniques orales de prise des aliments peuvent-elles avoir des conséquences?

Nous envisagerons successivement l’éventuel retentissement du sein, de la tétine, de la sucette et de la cuillère. Il est possible de schématiser en deux tableaux les grandes différences entre la succion au sein et celle d’une tétine.

AU SEIN :

Le mamelon avance loin dans l’arrière bouche, jusqu‘au palais mou

Les lèvres sont étanches sur le sein à le nouveau né respire exclusivement par le nez.

La langue avance en gouttière sous l’arcade dentaire

Le maxillaire inférieur s’abaisse pour réaliser une dépression intra buccale

Le nourrisson peut contrôler sa source d’alimentation

AU BIBERON :

La tétine appuie sur la partie antérieure du palais (palais osseux)

Le bébé peut entrouvrir les lèvres et respirer un peu par la bouche

La langue reste en arrière des arcades dentaires

Le maxillaire inférieur remonte pour pincer la tétine entre les deux gencives

Le nouveau né ne peut contrôler le débit

Les mouvements que nous faisons modèlent notre corps, notre ossature, nos muscles. Comme les autres, les mouvements de succion modèlent peu à peu toutes les structures anatomiques de la bouche et du visage. La succion n’est pas comme on l’imagine souvent un suçotement du bout des lèvres. C’est un mouvement ample, profond, puissant tonique et répété qui retentit sur toute la musculature de la région. La position pour téter au sein, mamelon loin dans la bouche et langue en gouttière, renforce toute la musculature péribuccale. Il en résulte :

-Un moindre risque de fausses routes à la déglutition

-Un élargissement et un abaissement du palais osseux donc un élargissement des fosses nasales et une meilleure ventilation puisque la respiration est exclusivement nasale, d’où moins d’otites et de rhinites.

-Un développement optimal du maxillaire inférieur favorable au développement du menton. Le retrognatisme du nouveau né est plus vite et mieux rattrapé. Il y a donc secondairement moins de troubles de l’articulé dentaire.

Le fait de pouvoir ou non contrôler le débit du lait a lui aussi un retentissement sur l’avenir. Au sein, le bébé contrôle facilement le débit. En revanche, la succion au biberon est rapide, peu satisfaisante pour le bébé. Il cherche d’autres satisfactions orales qu’il s’offre en suçant son pouce ou ses doigts, ou qu’on lui accorde sous forme de sucettes. Celles-ci maintiennent, de nombreuses heures par jour, parfois pendant des années les appuis sur le palais qui sont ceux des tétines aggravant considérablement les résultats fonctionnels de ces dernières.

Ne pouvant contrôler le débit, l’enfant ingurgite les rations prévues pour lui sans trop pouvoir se défendre d’un trop plein. Les messages profonds de satiété et d’appétit, liés au sensations internes du corps, essentiels à tout l’équilibre alimentaire ultérieur, sont remplacés par un conditionnement hypothalamique inconscient de rations « habituelles » qui ne correspond plus aux authentiques besoins ; ce qui est, comme nous le savons tous, la cause première de création des obésités et de l’impossibilité des régimes !

Introduire trop tôt des aliments à la cuillère a aussi des effets délétères. Jusque vers six mois, il existe un réflexe de protusion de la langue (le bébé avance sa langue en présence d’aliments), une absence de mastication et une déglutition automatique involontaire sous contrôle du tronc cérébral. Seule la succion d’une liquide est compatible avec ces réalités fonctionnelles. L’intrusion (agressive !) d’une cuillère, avec des aliments mous, perturbe tout autant la notion de ration autocontrôlée par l’enfant que l’apprentissage de la mastication et la mise en place de la déglutition active volontaire sous contrôle cortical. Ce que les enfants risquent d’apprendre, au sens le plus profond, inconscient du terme, c’est une alimentation passive, comme l’a si bien écrit le professeur Chancholle :

La bouillie « supprime tous les efforts musculaires (qui font développer les structures osseuses) et réduit l’action de manger à la seule déglutition, ne permettant pas à la mastication de s’installer normalement….. Cette  façon de s’alimenter fait des boulimiques qui ne savent pas manger…. »

Pour le dire plus crûment, la succion au long cours des tétines et la diversification trop précoce font la fortune des ORL puis des orthodontistes et des nutritionnistes! N’est-ce pas déjà  l’une des réalités évidentes de notre société moderne ?

 

La modélisation inconsciente des comportements

Il existe dans notre culture une très grande confusion sur les besoins alimentaires et la régulation des mécanismes énergétiques. Pour beaucoup d’entre nous, ne pas manger aux mêmes heures que d’habitude, sauter plusieurs repas, crée un risque grave de malaise. Nous croyons sincèrement que des adultes peuvent « mourir de faim », « crever de faim », avoir « la dalle » (celle du cimetière bien sûr !). Nous imaginons que si notre corps n’est pas régulièrement et abondamment rechargé en nutriments, -trois ou six fois par jour comme un poêle à bois!- il va s’éteindre, que les conséquences dramatiques ne sont pas loin.

En dehors des premiers jours après la naissance, où certains bébés peuvent nécessiter des apports très réguliers, tout cela est faux. Le corps a des réserves, il existe des mécanismes solides de maintien de l’équilibre même en cas de carence prolongée d’apports alimentaires. L’hypoglycémie n’existe pas en dehors de pathologies  hormonales bien spécifiques.  Il faut des mois pour mourir de faim. C’est même, osons le dire, l’une des façons les plus lentes de mourir…

Pourquoi alors cette « faim » qui nous tenaille, qui nous fait défaillir, nous donne des crampes d’estomac et la tête vide ? Pourquoi ce profond malaise que ressentent certains individus à l’heure des repas ? Pourquoi parler de faim, mot si proche du mot famine, alors que dans notre société d’abondance les aliments remplissent nos placards et nos frigos ? Pourquoi mettre le couvert à heures fixes ? Pourquoi ce manque, ce besoin perpétuel angoissant ? Pourquoi nos bébés pleurent-ils …de faim !

 

 

 

La réponse tient probablement en grande partie dans l’inscription de nos premières expériences.  Toutes les fonctions du corps nécessaires à la survie sont soit réflexes, totalement involontaires (battements cardiaques, respiration…) soit  conditionnées  par l’expérience. Le conditionnement, c’est la manière dont notre cerveau profond, involontaire, inconscient s’est construit et a organisé tout un fonctionnement automatique en fonction des la nature de nos expériences, de leur répétition, de leur tonalité émotionnelle, et de la mémoire qu’il en a gardé. Nous créons plus de connexions neuronales, et nous modulons l’intensité des réactions chimiques de la transmission en fonction de ces expériences. Ainsi, le fonctionnement cérébral tout entier et la mémoire inconsciente sont  corrélés à l’apprentissage. Les réactions lors d’un nouvel événement identique ou à la simple évocation de cet événement sont régulées par toute la chaîne biochimique et neuro-hormonale de la transmission synaptique des informations. La trace laissée par l’expérience est associée à des modifications structurelles et fonctionnelles des synapses et de leur efficacité, dont on commence à connaître aujourd’hui les mécanismes cellulaires et moléculaires les plus fins . Pour chacun d’entre nous le niveau des réactions (le taux de neuromédiateurs libérés dans les synapses) est différent puisqu’il dépend de notre histoire.

Réfléchissons maintenant à ce que vivent les nouveau-nés. Leur cerveau, très immature, n’a qu’une faible gamme de réactions. Les  bébés fonctionnent presque en tout ou rien. Ils sont  « tout bien » ou « tout mal ». Ils n’ont aucun équipement cérébral permettant de moduler leur activité ou leurs réactions à des besoins alimentaires. Ils ne savent rien de ce que nous nommons la faim, de leur taux glycémique ou des besoins de leur croissance. Ils n’ont que la capacité de se réveiller et de se rendormir de nombreuses fois par 24 heures. Ils ne connaissent que les bruits, les odeurs, les goûts, l’arrondi et l’eau de leur univers utérin.

Une fois nés, lorsqu’ils se réveillent, plus rien de tout cela n’existe. L’inconnu sensoriel est absolu. Comme tous les petits mammifères, s’ils ne trouvent pas immédiatement un corps pour les accueillir, des odeurs chaleureuses d’humain, du lait qui coule dans la bouche, le stress est immédiat. C’est ce que l’on appelle le cri de détresse à la séparation . Très vite les manifestations physiques de stress sont majeures : hyper vigilance, activation du système nerveux sympathique, hypersécrétion des hormones de stress entraînant une augmentation brutale du rythme cardiaque, de la pression artérielle, du tonus musculaire, des pleurs violents vite transformés en hurlements . Ils vivent un véritable accès de panique. Ce n’est pas la carence alimentaire qui a provoqué cet état, mais la solitude et l’inconnu.

Existe-t-il une faim du ventre qui ne soit l’indice d’une faim généralisée ? Par faim, j’entends ce manque effroyable de l’être entier, ce vide tenaillant, cette aspiration non tant à l’utopique plénitude qu’à la simple réalité : là où il n’y a rien, j’implore qu’il y ait quelque chose

Cette douloureuse expérience va se renouveler six, huit, dix fois par jour pendant des semaines. Les bébés n’ont aucun recul, aucun moyen de se réguler seuls. Ils mémorisent inconsciemment ce moment d’angoisse absolue qui précède l’alimentation. Ils se conditionnent au stress de « la faim », ce manque absolu de la présence de l’autre. Plus l’intervention des adultes est tardive, plus les adultes sont eux-mêmes stressés par ces pleurs, plus on impose aux bébés d’attendre dans cette grande panique un horaire artificiel, plus l’inscription profonde émotionnelle est négative. Il n’est guère étonnant que les méthodes rigides de puériculture des dix dernières décennies aient engendré une génération… qui a faim ! Cet état de manque  -que nous appelons faim- cesse avec l’arrivée des adultes qui vont les prendre l’enfant en charge….. et bien sûr les nourrir.

Comment dès lors ne pas confondre cet état de panique avec le manque de nutriments ? Comment pour les parents ne pas reconnaître là des signaux qu’ils ont ressentis en eux dans les moments de manque ou de stress majeurs. La confusion est totale. Une émotion de manque sensoriel ou affectif chez l’enfant devient pour les parents et toute la société le signe d’un besoin alimentaire urgent. Et l’engrenage pervers des émotions excessives et des compensations est en route. Nous mangeons quand nous sommes seuls, quand nous sommes angoissés. Nous offrons un gâteau à l’enfant qui s’est écorché le genou, certains pédiatres tentent de se faire pardonner un examen désagréable ou une vaccination par un bonbon. L’enfant puis l’adulte ne ressent plus rien des signaux de besoins nutritifs ou  de satiété. Le conditionnement émotionnel en a pris la place. Il revient aux heures habituelles des repas, il revient si on l’on sent une odeur de préparation de repas ou si l’on entend un bruit de casseroles. Il revient en voyant manger des acteurs au cinéma, même si l’on sort de table, il revient devant les affiches publicitaires et mieux encore devant les publicités à la télévision. Il revient en lisant un texte qui parle de faim, il revient chaque fois qu’une évocation proche ou lointaine nous ramène dans nos émotions primitives…. Manger dans ces moments là, renforce le lien entre l’émotion et le fait de ressentir ce besoin, renforce la méprise.  Il renforce le  conditionnement. Or ce conditionnement initial persiste tout au long de notre vie, avec plus ou moins d’acuité selon les individus. Nous n’y échappons guère par le raisonnement, la volonté n’a pas de prise. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le piètre résultat des campagnes nutritionnelles qui tentent de corriger ces dérives de l’apprentissage et plus encore, l’inefficacité des régimes amaigrissants (trois ans après 90% des personnes ont repris et dépassé leur poids antérieur). Nous sommes prisonniers de nos premières expériences.

Pour éviter ce cercle vicieux, il conviendrait d’éviter cet engrenage d’attente et d’angoisse. Mieux vaudrait prévenir par des expériences précoces équilibrantes Il serait bon que le très jeune enfant retrouve dès son éveil ce qui le rassure, le nourrit et le comble, et ce, le plus souvent possible. Au lieu de parler d’horaires de tétées, d’intervalles, d’allaitement à la demande, nous pourrions parler d’allaitement dès l’éveil, sans attendre qu’il pleure.  La présence ou la grande proximité d’autres humains, leur réponse rapide  sont une condition essentielle de la régulation et des apprentissages de nos petits. Quand les expériences primitives sont des expériences de sécurité, de satisfaction, l’appel devient celui d’un désir. Manger pour retrouver l’intense satisfaction du bien être, de la nourriture et de la rencontre. Découvrir la satiété dans la découverte calme du plaisir.

L ’émotion hédoniste donnée par un aliment est un acte fondateur de la cognition et crée le « moi », c’est à dire du discours, des sentiments, des émotions, de la mémoire, un passé, une personnalité.

C’est cela le premier temps de l’équilibre alimentaire. Celui de la sécurité fondamentale. Non plus celui de la faim, mais l’équilibre serein de l’appétit et de la satiété

 

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