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Coordination Française
pour l’Allaitement Maternel
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Dr Marc PILLIOT
Président
309 rue Verte
59170 - Croix
Tél. : 06 11 96 13 13
marc.pilliot @wanadoo.fr
Initiative Hôpital Ami des Bébés
12 rue Parmentier
33510 Andernos les Bains
tél/fax : 05 56 26 00 84
ihab@coordination-allaitement.org
Secrétariat de la Semaine Mondiale de l’Allaitement
Maternel - SMAM
163 rue de Bagnolet
75020 - Paris
tél : 08 73 71 98 00
smam@coordination-allaitement.org
Site Internet :
www.coordination-allaitement.org |
Communiqué de la CoFAM
A la fin de la Semaine Mondiale de l’Allaitement Maternel
en
octobre, et à l’initiative de mères, a été organisé une « Grande
tétée» en public, rassemblement de femmes allaitantes dans
plusieurs grandes
villes de France. Tous les médias en ont fait un écho positif et ému,
sauf Mme Arrighi qui a écrit, dans le journal « Libération »,
des propos
ironiques sur cet évènement. Cet article a provoqué un vif
débat entre
les lectrices et le journal. Puis, fin novembre et toujours dans « Libération »,
Mme Rotman a élargi la discussion avec
ce « sacro-sein
allaitement » qui culpabilise certaines mères.
En tant que président de la CoFAM, le Dr Marc Pilliot a souhaité réagir
pour sortir le débat des passions irrationnelles
et pour le
tirer vers plus de sérénité et de tolérance. Vous
trouverez ci-joint la
lettre ouverte qu’il a adressée aux journalistes et à la
rédaction du
journal. Certes, elle est longue, mais il s’agit d’un sujet trop
vaste pour être traité en quelques lignes.
Avec nos salutations distinguées,
Le Comité d’Administration de la CoFAM
|
L’allaitement maternel est beaucoup plus qu’une
simple histoire de sein ou qu’un sujet de nutrition
Lettre ouverte à « Libération »
Dr Marc PILLIOT, Président de la CoFAM *
Clinique Saint Jean de Roubaix, Label international « Ami des
Bébés »**
* CoFAM : Coordination Française pour l’Allaitement
Maternel
** Label décerné par l’OMS et l’UNICEF
Le 23 octobre dernier, vous avez publié un article ironique,
voire sarcastique,
sur « la Grande Tétée » , rassemblement
de mères allaitantes en public, dans
plusieurs villes de France, à l’occasion de la Semaine
Mondiale de l’Allaitement
Maternel (SMAM). Ce reportage a provoqué de vives réactions
de la part de mères «
choquées », « déçues », « atterrées » par
les propos de votre journaliste. Toutes
ces réactions reflétaient bien le « ras-le-bol » de
toutes ces femmes qui sont raillées,
stigmatisées, blessées parce qu’elles allaitent
plusieurs mois. En France,
contrairement aux autres pays d’Europe, pour allaiter plus de
3-4 mois, il faut devenir
une véritable « pionnière ». Comme pour faire
le contrepoint, vous avez publié le 30
novembre un article sur « le sacro-sein allaitement » ,
pour témoigner sur ces
mères qui subissent des pressions sociales ou médicales
pour continuer d’allaiter alors
qu’elles sont en difficulté avec leur allaitement.
Enfin, le 26 décembre dernier, vous avez publié « Réapprendre
l’allaitement » ,
réactions de deux médecins épidémiologistes
qui apportent un regard scientifique sur
ce sujet.
Vous avez ouvert là un débat essentiel qui pourrait permettre
enfin de parler du
corps des femmes, de nos croyances personnelles face aux certitudes
scientifiques,
des enjeux de Santé Publique, de la liberté du choix
individuel, de la puissance de la
publicité, de la perte de nos repères avec les jeunes
nourrissons…
Pauvres mères, qui culpabilisent quand elles n’allaitent
pas !
Pauvres mères, qui culpabilisent quand elles veulent allaiter
et qu’elles n’y arrivent
pas (le plus souvent à cause des conseils inadaptés donnés
par les professionnels) !
Pauvres mères, qui culpabilisent quand elles allaitent longtemps
!
Pauvres pères, que la perte des repères machistes et
simples d’autrefois oblige, en
tâtonnant, à réinventer leur rôle et à oser être « paternant » !
Pauvres soignants, qui sont souvent perdus dans cet imbroglio d’idées
personnelles et
de connaissances scientifiques mal digérées !
Pauvre Société, qui est toujours dans la Mesure, la Normalité,
la Performance !
Il n’a jamais été écrit nulle part qu’il était
simple d’être parent, et cessons de faire
croire qu’il existe des parents parfaits.
En tant que Président de la CoFAM, je souhaite alimenter ce
débat qui a
malheureusement commencé de façon passionnelle. Nous
sommes dans une culture
de non-allaitement depuis des siècles et cela nous vaut une
des dernières places en
Europe. Il est temps de sortir des stigmates, des diktats, des sarcasmes,
de
l’irrationnel.
Pour commencer, corrigeons les erreurs trouvées dans votre
article « La Grande
Tétée » :
-
Ce rassemblement s’est organisé à l’initiative
de mères, sans le « soutien
actif » de la CoFAM. Celle-ci a seulement transmis l’information,
comme elle
le fait pour toute action réalisée dans le cadre
de la SMAM.
-
Ce n’est pas seulement La Leche League qui préconise d’allaiter
au moins
jusqu’à deux ans, mais bien l’OMS (Organisation
Mondiale de la Santé) et
toutes les Sociétés savantes de Pédiatrie (française
et étrangères):
«
allaitement exclusif jusqu’à six mois, puis avec une alimentation
diversifiée
jusqu’à deux ans ou plus ». Cette recommandation
scientifique est réfléchie
et directement issue de la connaissance des bénéfices
santé pour le bébé et
sa mère.
Eh oui ! Comme vous l’écrivez, « on ne compte
plus les articles qui vantent les
bienfaits de l’allaitement ». Et pourquoi devrions-nous
ne pas le faire, après des
décennies de mutisme sur le sujet ? Les fabricants de lait artificiel
ne se gênent pas
pour vanter leurs produits qui sont pourtant beaucoup moins performants.
Rappelons
que la poudre de lait provient du lait de vache modifié ou de
protéines de soja et
qu’elle n’est pas stérile.
Alors oui, les bénéfices santé sont nombreux :
le souligner, ce n’est pas
culpabiliser les mères, c’est juste dire les choses comme
elles sont et faire de
l’information.
-
Le lait maternel est un produit biologique, vivant, évolutif
qui véhicule des
nutriments adaptés, mais aussi qui possède de nombreuses
propriétés
biologiques (cellules diverses, enzymes, facteurs de croissance, hormones,
etc…). La croissance en poids et en taille de l’enfant
au sein est spécifique et
identique quelles que soient les variations génétiques
et l’origine ethnique.
-
L’allaitement diminue l’incidence et la gravité de
nombreuses maladies
infectieuses, virales et bactériennes, y compris dans les pays
industrialisés. La
protection est d’autant meilleure que l’allaitement est
exclusif et prolongé.
-
L’allaitement maternel a aussi un effet protecteur sur le risque
d’obésité chez
l’enfant et l’adolescent, sur le risque de malocclusion
dentaire, sur la pression
artérielle et la cholestérolémie de l’adulte.
Pour la prévention de l’allergie, les études
sont contradictoires. Pour le développement cognitif,
des études avec
correction des biais éventuels montrent un bénéfice
d’environ 3 points de
quotient intellectuel : cela reste bien sûr très
modeste sur le plan
individuel, mais c’est très intéressant à l’échelle
d’une population.
-
Pour la mère, les bénéfices
de l’allaitement
sont notables : diminution des
infections post-partum, perte de poids plus rapide, protection contre
les cancers
du sein et de l’ovaire, prévention de l’ostéoporose.
-
Enfin
l’ocytocine, régulièrement larguée
dans le cerveau maternel lors de
l’allaitement, joue un rôle dans la modulation des
comportements de la mère
avec diminution de l’anxiété, du stress et
de la réactivité aux émotions
négatives. Cela renforcerait ainsi un climat émotionnel
favorable à la mise en
place de la relation mère-enfant .
Mais, en fait, la notion de tous ces bénéfices de l’allaitement
n’est pas
fondamentale pour le choix d’une mère. Ce n’est
pas sur ces arguments-là que
l’allaitement sera vraiment choisi et ce n’est pas cela
qui permettra de faire un
allaitement prolongé. Nous développerons ce point plus
loin. Par contre, ces
arguments sont fondamentaux :
-
Pour les professionnels de santé, afin qu’ils soient
convaincus que l’allaitement
est bénéfique pour l’enfant et sa mère,
comme ils sont assurés que le tabac est
délétère et que l’alcool est dangereux pour
un foetus. Etant convaincus, ils
seront plus enclins à faire le nécessaire pour se former
et pour mieux informer
les parents. Pauvres soignants qui réalisent que l’allaitement
est bénéfique,
mais qui n’ont pas la formation pour en parler objectivement
aux parents ! Les
exemples et les témoignages que vous citez montrent l’incompétence
des
professionnels qui entouraient ces femmes.
-
Pour les instances de Sécurité Sociale et pour celles
de Médecine du Travail,
pour les convaincre de tout faire pour aider une mère qui allaite.
Arrêtons
d’ennuyer les médecins qui choisissent de faire un prolongement
de congé de
maternité pour faciliter la poursuite de l’allaitement.
-
Pour
les Pouvoirs publics enfin, car l’allaitement est un
véritable enjeu de Santé Publique, du même
ordre que la prévention de l’obésité,
du tabagisme ou de
l’alcoolisme. A titre d’exemple, il serait préférable
de prolonger le congé maternité pour éviter
d’exposer des nourrissons
de deux mois et demi dans des
crèches où ils risquent d’attraper une bronchiolite,
toujours grave à cet âge-là.
Par ailleurs, cette mesure profiterait aussi aux bébés
nourris au biberon. Dans
la même optique économique, les Pouvoirs publics devraient
savoir que le non-allaitement
est source d’appauvrissement pour les familles : des études
montrent que cela entraîne une dépense familiale d’environ
1800 euros et une
dépense nationale de santé de l’ordre de 150
millions d’euros par an ;
des études nord-américaines retrouvent le même
impact financier .
Le soutien de l’allaitement par les Pouvoirs publics, avec
la publication de
documents dans le cadre du PNNS (Programme National Nutrition Santé),
est nécessaire et très utile, mais il faudrait plus
que de simples intentions.
La formation initiale des professionnels est pratiquement inexistante
(une heure
de cours pendant les études médicales) alors qu’elle
devrait être obligatoire,
comme il est imposé, pour devenir médecin, sage-femme
ou puéricultrice, de
connaître certains gestes de soins et d’avoir des notions élémentaires
sur la
nutrition, les vaccinations, la prévention de certaines pathologies,
etc… Cette
formation devrait être fondée sur des données scientifiques
actualisées et non
pas sur de vieilles croyances.
Quant à la formation continue, elle ne devrait pas être
laissée au bon vouloir de
chacun, ni au bon vouloir des directeurs d’hôpitaux ou
de cliniques. A ce
niveau, il existe déjà des organismes très compétents
: leurs actions devraientê
tre soutenues et officialisées.
En fait, notre société est
mal à l’aise avec l’allaitement maternel et
oscille toujours entre l’ingérence et l’abstention
:
-
L’ingérence, au point de ne pas être à l’écoute
des mères et/ou des parents
comme dans les cas soulignés dans votre article du 30 novembre.
-
L’abstention, sous le prétexte hypocrite de respecter
la liberté d’autrui
(ne culpabilisons pas les mères qui ne souhaitent pas allaiter),
mais qui
ressemble plutôt à une démission devant l’isolement
des familles dans les
grands centres urbains, devant la méconnaissance du corps et
de ses
sensations, devant la méconnaissance des rythmes et des besoins
de proximité du bébé, devant la mode qui fait choisir dans un sens
ou dans un autre sans
réfléchir à ce que cela implique. Démission
enfin devant les stratégies
commerciales des fabricants de laits artificiels dont les moyens financiers
sont
très supérieurs à ceux de la Santé Publique.
-
Tout se complique en
France avec le féminisme à la française, type
Simone de
Beauvoir, qui proclamait que la maternité est une aliénation
de la femme.
Cessons de croire que l’allaitement éloigne les femmes
de la vie publique et
professionnelle. Les études dans l’Europe du Nord
montrent le contraire .
Et si la pratique est difficile, c’est que l’allaitement
maternel est
beaucoup plus qu’une simple histoire de sein ou qu’un sujet
de nutrition .
Parler d’allaitement, c’est aussi parler de la sensualité,
des émotions, des hésitations,
des ambivalences vécues au travers de cette relation mère-enfant
qui se cherche et
qui s’établit à des rythmes variables. Dans l’allaitement,
la mère est rapidement
confrontée à des vagues d’émotion et aux réminiscences
de sa propre histoire, aux
croyances et aux valeurs de son entourage. L’allaitement est un
acte réellement
intime qui peut projeter, comme pour l’accouchement, dans notre « animalité ».
Certes il s’agit d’un acte « naturel », génétiquement
programmé comme chez tous les
mammifères, mais chez les humains, c’est aussi un geste
imprégné de sens, de
fantasmes, de souvenirs, de valeurs, de « Culture ». Allaiter,
c’est accepter qu’un «
bébé se love, touche et pose sa bouche sur le sein »,
c’est « oser s’abandonner et
se laisser faire » . « Téter, c’est comme
un bisou » dit une maman que vous citez.
Et le lait vient d’autant mieux que la maman a de la patience et
qu’elle sait lâcher
prise. C’est un corps à corps intime, ce sont deux corps
qui s’adaptent l’un à l’autre
dans un climat biologique et émotionnel. C’est en cela que
l’allaitement est aussi un
chemin initiatique vers la connaissance de soi, de son corps et de ses émotions,
mais aussi vers la connaissance de son enfant. L’allaitement plonge
donc la mère (et
le père) dans toutes les ambiguïtés de la parentalité.
Pour certaines mères, le biberon
peut être un moyen de se protéger de cet afflux d’émotivités,
parfois trop difficilesà gérer. A l’inverse, pour d’autres femmes, l’allaitement
prolongé peut être une manière
de se protéger des émotions négatives (grâce
aux effets de l’ocytocine). Ainsi
certaines mères peuvent choisir d’allaiter un de leurs enfants
et pas les autres. Les
motivations sont toujours très personnelles et très intimes.
On comprend mieux ainsi
que le choix d’une mère, le choix des parents ne peut se
faire seulement avec des
arguments scientifiques de bénéfices-santé. En fait,
une maman choisit d’allaiter tout
simplement parce qu’elle en a envie.
Mais, dans notre société, tout est fait pour que le choix
soit difficile. On
demande en effet aux parents de choisir quelque chose qu’ils ne
connaissent pas et
sans qu’on leur donne une information juste, objective, non passionnelle.
Dans ces
conditions, choisir l’allaitement, c’est un peu comme « partir
vers une destination
inconnue », avec des renseignements imprécis et contradictoires.
Le choix n’est pas
vraiment libre, face aux pressions sociales et culturelles pour utiliser
le biberon
rapidement.
Par ailleurs, pour réussir un allaitement, la maman a besoin d’être
en
confiance : en confiance avec elle-même et avec son bébé,
en confiance aussi avec
entourage familial, social, culturel. Or comment être en confiance
dans cette
société qui dépossède la femme de son corps
pendant toute la grossesse et pendant
l’accouchement ? La médicalisation excessive donne l’impression à beaucoup
de
femmes d’être un vase sacré ou, pire, une « bombe
ambulante » : il faut faire ceci ou
cela, ou à l’inverse ne pas faire, il faut subir pléthore
d’examens pour dépister les
pires choses. On n’en fait pas tant dans les autres pays d’Europe
qui ont de meilleurs
résultats en périnatalité. Et que fait-on si on
découvre une anomalie ? On continue
« d’agir » sans se soucier des dégâts
psychoaffectifs que cela peut provoquer, voire
dégâts sociaux avec perte de repères. Combien de
femmes sont fustigées parce
qu’elles refusent une amniocentèse ?
Et à l’accouchement, laisse-t-on vraiment la maman choisir
? Les positions sont
généralement imposées, la péridurale est proposée
comme seule solution alors qu’il y
en a beaucoup d’autres, les déclenchements sont trop nombreux,
les épisiotomies
sont excessives, etc...
La naissance n’est pas seulement un acte physiologique, ni un acte
médical ;
c’est aussi un évènement familial et social. La façon
de naître ne devrait pas être
décidée seulement par les soignants, sauf en cas de pathologie.
La grossesse et l’accouchement, mais aussi l’allaitement
(qui est la suite
physiologique d’une grossesse), sont un vrai travail d’initiation
au secret de la
Vie. Comme déjà précisé plus haut, l’allaitement
est un état d’esprit, une façon d’être.
Mais donne-t-on le temps aux femmes de réfléchir à tout
cela lorsqu’elles sont dans le
désir d’enfant, dans le cheminement d’une grossesse,
dans le désir d’allaiter ? Notre
société n’est pas du tout dans ce discours-là.
- Du
côté des adultes, la confusion est fréquente entre
le sein nourricier et le sein érotique. Certes, le sein est
d’abord vécu comme objet
sexuel, objet de
séduction, voire objet publicitaire, mais depuis le début
de l’humanité cela reste
un organe de nutrition. Quoi qu’en pensent certains « psy »,
l’un n’empêche
pas l’autre : la nutrition du bébé et les caresses
du papa ne se font pas dans le
même temps. Et si le père a du mal à trouver sa
place, est-ce à cause de
l’allaitement ? Ou à cause d’une difficulté à supporter
ce lien exclusif ? à cause
d’une jalousie, d’une compétition d’intérêts… qui
révèlent chez lui le doute sur
ce qu’est le lien paternel et la difficulté à gérer
les émotions négatives de
frustration ?
- Du côté de l’enfant, celui-ci est devenu « produit
de consommation » : le
nouveau-né doit arriver quand on le souhaite, il doit être « conforme » ;
il peutê
tre gênant et il faut donc le contrôler, le cadrer, le
dresser. Notre culture de
séparation vient ajouter de la confusion. Sous prétexte
que l’enfant doit viteê tre autonome, les jeunes parents subissent de nombreuses pressions
familiales, sociales, voire médicales : ne pas trop le prendre
dans les bras, le
coucher rapidement hors de la chambre des parents, le mettre à la
crèche à 2
mois et à l’école à 2 ans. Certains « psy » vont
jusqu’à culpabiliser les mères
lorsque l’allaitement se prolonge au-delà de 2-3 mois, alors
que les études
montrent que l’enfant est plus serein et plus autonome lorsque
l’allaitement a
duré longtemps. On oublie que pour se détacher, il faut
d’abord avoir été «
attaché ». De ce fait, notre société a des
exigences irréalistes avec les
bébés, des exigences qui ne tiennent pas compte des rythmes
et de la
physiologie du jeune nourrisson, ni des processus d’attachement.
Pauvres
bébés à qui on ne donne pas le temps de s’adapter
en harmonie ! Pauvres
mères à qui on ne donne pas le temps de se construire
autour de cette fusion
initiale avec leur nouveau-né ! Et du fait de leur « manque » au
départ, elles
n’osent plus dire « non » quand l’enfant est
plus grand, avec toutes les
conséquences négatives que cela peut entraîner.
Dans tout cet imbroglio, le
père pourrait jouer un rôle « paternant » d’étayage
et de soutien.
Le but de cette longue lettre est de démontrer que l’allaitement
ouvre le
débat bien au-delà de la nutrition et de la relation mère-bébé.
Cela déborde
forcément sur la famille, la société, la publicité,
notre « Culture ». Cela évoque aussi
notre façon d’accueillir les bébés et notre
manière d’accompagner les parents. Cela
interpelle notre Médecine qui s’occupe essentiellement « du
corps », en oubliant
souvent d’accompagner « la personne » (à ce
titre, l’examen du 4 ème mois de grossesse est un 1 er pas
vers le retour à une écoute active).
Dès lors on comprend mieux que, dans les milieux défavorisés,
le non-allaitement
soit généralisé. Cela traduit un mal-être
plurifactoriel : effritement du tissu
social, isolement, pauvreté affective, pertes des repères
du corps. A l’inverse, pour
beaucoup de femmes, l’abandon de l’allaitement est vécu
comme un échec personnel
alors que c’est souvent le résultat d’une série
d’erreurs tactiques de la part du
système médical. On voit bien la nécessité d’une
vision large et globale de
l’allaitement et on comprend mieux que le débat soit vite
passionnel, voire irrationnel.
Alors, comment faire pour rester sereins et pour que les mères
puissent être comprises dans leur choix, quel qu’il soit ? Les moyens à mettre
en oeuvre
sont vastes :
- En premier lieu, la formation des soignants. Nous en avons parlé plus
haut.
Cela devrait entrer dans un prochain programme de Périnatalité.
En
complément, il devient indispensable d’obtenir des données épidémiologiques
précises sur la prévalence et la durée des allaitements
exclusifs et des
allaitements partiels ou accompagnés d’une alimentation
diversifiée. Cela
permettrait enfin d’avoir une meilleure connaissance du terrain
et de pouvoir
comparer avec les pays voisins.
- L’information objective des parents,
afin qu’ils puissent
faire un choix enfin « éclairé », détaché des
fausses idées
et des a priori. Comme le précisent
Kirsten Simondon et Mickael Kramer dans leur article du 26 décembre
(3),
il faut remettre l’allaitement dans la sphère publique.
- « Humaniser » la naissance, éviter les gestes
inutiles et, lorsque tout va bien,
laisser les parents et le bébé se rencontrer dans l’intimité,
tant il est vrai que
cela favorise le lien mère-enfant et le bon démarrage de
l’allaitement. Cela
profiterait aussi aux bébés nourris au biberon.
- Accompagner
la mère, accompagner les parents et non pas dicter,
intervenir,
faire à la place de… « Accompagner », c’est
respecter les émotions de l’autre,
c’est valoriser ses ressources et ses initiatives, c’est « rejoindre
l’autre plutôt
que de convaincre ». Les professionnels sont trop formés à agir.
Il leur faut
apprendre aussi à écouter, à observer, à « agir
les mains dans le dos ».
- Redécouvrir et respecter les
rythmes neurologiques et alimentaires du jeune
nourrisson, le laisser se nourrir en fonction de ses besoins exprimés
et non pas
selon un rythme imposé par l’adulte.
- Accepter la proximité mère-bébé pendant
les 1ers mois et, à ce niveau, laisser
les parents vivre à leur guise.
- Travailler en réseau avec
tous les acteurs qui peuvent aider la maman après le
retour à la maison et/ou après la reprise du travail :
réseaux régionaux de
périnatalité, réseaux de médecins et de PMI
(à condition d’y trouver des
professionnels bien formés), et bien sûr les associations
de soutien aux mères
allaitantes dont les bénévoles sont longuement formées
et rodées aux
difficultés que peuvent rencontrer les mères.
- Clarifier
les relations entre les professionnels de santé et
les fabricants de laits
artificiels. En France, il y a plus de 150 laits infantiles destinés
aux enfants de la
naissance à l’âge de 3 ans, alors qu’il y en
a seulement une vingtaine en Suède,
en Norvège ou au Québec. La concurrence est très
rude. Les industriels
proposent donc une multitude de laits pour régler certains troubles
digestifs,
sans pour autant que ces allégations soient systématiquement
et
rigoureusement appuyées par de réelles études.
Le « Code International de commercialisation des substituts du
lait maternel » est souvent mal respecté. La pratique des « tours
de lait » existe toujours et
l’organisation de nos maternités rend difficile de s’en
passer. Le décret de 1998
interdit surtout de distribuer du lait artificiel aux mères, au
moment de la
sortie. Les établissements sont obligés d’acheter
le lait, mais les prix sont
modiques, voire purement symboliques, et les industriels reversent de
l’argent
aux maternités en fonction du lait fourni pendant le tour. Il
existe donc parfois
des pressions de certaines directions d’hôpitaux pour que
la consommation de
lait artificiel ne diminue pas à cause d’une promotion trop
efficace de
l’allaitement maternel. Il y a aussi des endroits où l’ordonnance
de sortie
prescrit un lait en cas de problème avec l’allaitement :
une façon pernicieuse et
inacceptable de faire perdre confiance à la mère dans ses
capacités à allaiter.
- Enfin, faciliter la disponibilité maternelle
et parentale, d’autant plus que les
familles sont souvent isolées. Pour ce faire, il serait utile
de réaliser des
mesures sociales pour aider les mères à poursuivre l’allaitement
tout en
préservant leur profession, comme cela est fait dans de nombreux
pays
d’Europe. Un congé maternité de plusieurs mois
permettrait enfin de respecter
les recommandations scientifiques d’un allaitement exclusif de
six mois et
protégerait les tout jeunes nourrissons des risques infectieux
liés à la vie en
collectivité. Un soutien pour l’allaitement chez les mères
en précarité est
fondamental. De nombreux pays le font, mais en France l’aide se
résumeà donner du lait artificiel. En outre, toutes ces mesures favoriseraient
la«
parentalité » à tous les niveaux. Enfin, un réseau
de crèches sur les lieux de
travail mériterait d’être plus développé et
des consultations de lactation
devraient être reconnues et facilitées. Citons comme exemples
le Conseil
Général de l’Essonne qui finance et gère quatre
consultations d’allaitement, ou
bien le Conseil Général et la CPAM du Morbihan qui, actuellement,
prennent en
charge la formation d’une douzaine de personnes pour faciliter
la création de
consultations d’allaitement dans tout le département.
Toutes ces mesures permettraient d’améliorer la situation
de l’allaitement
maternel en France. Il existe déjà un concept qui reprend
la plupart des propositions
citées plus haut, mais la France rechigne à l’adopter
: c’est l’Initiative Hôpital Ami des
Bébés (IHAB) proposée en 1991 par l’OMS et
l’UNICEF. L’IHAB est une démarche de
qualité, fondée sur des données scientifiques nombreuses
: elle permet
la mise en place de pratiques hospitalières, centrées sur
la famille, et respectant les
besoins et les rythmes des nouveau-nés. C’est un projet
de service qui favorise
l’accompagnement de l’allaitement maternel, mais qui va bien
au-delà : les
compétences, le savoir-faire, la motivation qui sont acquis autour
de l’accueil du
nouveau-né et de l’allaitement vont bénéficier à tous
les nouveau-nés, allaités ou non,
et à toutes les mères, allaitantes ou non, ainsi qu’à toute
l’activité de la maternité. Il
ne s’agit pas d’appliquer un protocole, mais de créer
un état d’esprit d’accueil et
d’accompagnement en offrant des soins de qualité et en toute
sécurité. C'est une
démarche volontaire, en phase avec la préparation à l'accréditation
des hôpitaux et en
accord avec les objectifs du « Plan de gouvernement pour la Périnatalité ».
L’IHAB a
fait ses preuves depuis 15 ans, dans de nombreux pays : plus de 19600
hôpitaux dans
le Monde et environ 650 en Europe, dont plusieurs hôpitaux universitaires
; les
résultats sont probants au niveau de la prévalence et de
la durée de l’allaitement.
Comprenant l’enjeu de qualité de cette initiative, le gouvernement
belge a
récemment incité les maternités du pays à se
lancer dans cette démarche : six
maternités ont été labellisées en 2006, onze
autres sont prévues pour 2007 et il est
prévu de labelliser 25% des maternités d’ici 2010.
Lorsqu’une volonté politique est exprimée, les progrès
peuvent être rapides. En France, nous avons seulement cinq
maternités labellisées sur un total d’environ 620 maternités,
mais uniquement grâceà l’énergie de quelques
bénévoles et de quelques
professionnels convaincus.
Pouvoirs publics, Conseils généraux, Conseils régionaux,
personnalités
politiques, Agences Régionales des Hôpitaux, Directions des
hôpitaux et des cliniques,
Chefs de service, médecins, sages-femmes, puéricultrices,
Médias et journalistes,
Parents, réveillons-nous et agissons !
Chacun à notre niveau, faisons en sorte que les mentalités
progressent en France, à
l’instar des autres pays de l’Europe ! Faisons en sorte que,
pour les soignants,
l’allaitement soit dans le monde de la Connaissance et non pas dans
celui de
l’émotivité, de l’irrationnel ou des croyances
personnelles ! Faisons en sorte que
l’accueil à la naissance et l’accompagnement de l’allaitement
tiennent compte des
dernières données scientifiques ! Faisons en sorte que l’information
aux parents soit
objective, tout en restant dans l’écoute (à ce niveau,
le rôle du soignant est
seulement de repérer les vulnérabilités) ! Faisons
en sorte que la créativité de chaque
mère soit respectée ! Faisons en sorte que les mères
souhaitant allaiter puissent
réussir leur allaitement aussi longtemps qu’elles le veulent,
et en compatibilité avec
leur activité professionnelle ! Faisons en sorte que les mères
qui ne souhaitent pas
allaiter puissent en parler librement et être écoutées
dans le respect de leurs
convictions ! Faisons en sorte que le choix des parents ne soit pas entre
le bon et le
mauvais, entre le meilleur et le moins bien, mais plutôt dans une
dynamique
d’adaptation entre la mère et son enfant ! La mère
choisit en fonction des
caractéristiques innées de son bébé et en fonction
de son histoire personnelle : à tous
les niveaux de la société, aidons-la à créer
ce qui convient le mieux à elle et à son
enfant.

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Tétée pour les entêtées
de l'allaitement - Libération du lundi 23
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